Vivre un deuil périnatal
En avril 2018, j’ai vécu l’épreuve du deuil périnatal, l’expérience la plus douloureuse de ma vie, à laquelle rien ne me préparait. Foudroyée, blessée au plus profond de mon être, il m’a fallu réapprendre à vivre avec le manque de mon enfant.
UN DRAME INCONCEVABLE
Une grossesse sans nuage
Début
avril. Le terme de ma grossesse approche à grands pas et je suis impatiente de
rencontrer enfin le petit être que j’ai porté pendant presque 9 mois. 9 longs
mois à jongler entre travail, rendez-vous de suivi médical, séances de
préparation à l’accouchement et vie quotidienne avec un aîné de 3 ans et demi
pour le moins dynamique….
En cette fin de grossesse, malgré un peu de fatigue, tous les voyants sont au
vert et notre bébé, une petite fille, est en grande forme. Elle fait déjà
partie de la famille et de nos projets et nous avons hâte de la tenir dans nos
bras. Je suis heureuse de toucher du doigt l’aboutissement de notre rêve de
famille à quatre.
La nuit où tout bascule
La
veille de l’accouchement, alors que je vais chercher mon fils à l’école, je ressens une violente contraction. Le terme
étant désormais tout proche, j’imagine une contraction de travail et ne m’en
inquiète pas outre mesure. Le soir, je sens encore le bébé bouger et la douleur
est passée.
C’est dans la nuit que des sensations inhabituelles m’alertent et que mon
intuition me pousse à consulter en urgence. En arrivant à la maternité, des
pertes de sang commencent à m’inquiéter sérieusement. Un monitoring est fait
rapidement, les sages-femmes ne parviennent pas à sonder les battements du cœur
du bébé. La gynécologue de garde est appelée en urgence et très vite le verdict
tombe : « Madame, je suis
désolée mais le cœur de votre bébé s’est arrêté de battre ».
Un cauchemar éveillé
À
cette annonce, le ciel me tombe sur la tête. Je me tords de douleur, je hurle,
je ne veux pas y croire. Mon corps est parcouru de tremblements qui ne me
quitteront plus pendant les heures qui suivent et me reprendront par moments
les jours suivants. Ils sont les premiers signes visibles du choc provoqué par
le traumatisme.
Je suis terrifiée par la mort qui m’habite désormais, tellement contraire à la
naissance qui se préparait. C’est le chaos dans mon esprit, je ne comprends pas
ce qui m’arrive, ce qui nous arrive. J’appelle mon conjoint et lui annonce la
nouvelle brute au téléphone. Il est lui aussi sous le coup de l’impensable mais
parvient à me rassurer en me disant qu’il est avec moi et qu’il me rejoint au
plus vite.
Une cause : l’hématome rétro-placentaire
Alors que j’imagine qu’une césarienne va être pratiquée en urgence, l’équipe de la maternité m’explique que l’accouchement se fera par voie basse pour préserver l’utérus. Je suis installée en salle de travail et les contractions sont déclenchées. Le gynécologue qui a pris le relais au petit matin m’explique ce qui a causé la mort de notre bébé, un hématome rétro-placentaire qui a coupé les échanges vitaux. Un phénomène quasi imparable selon lui, d’autant qu’aucun examen durant ma grossesse ne pouvait le laisser présager.
Une naissance sous silence
La
sage-femme qui nous accompagne prend le temps de discuter avec nous de la
suite : est-ce que nous souhaitons voir notre bébé, lui donner un prénom,
l’habiller ? Est-ce que nous pensons organiser des obsèques, autoriser une
autopsie ? Des questions auxquelles nous n’aurions jamais imaginé être
confrontés un jour… et des décisions à prendre dans l’urgence alors que nous
réalisons à peine ce qui nous arrive.
Quelques petites heures plus tard vient le moment de la poussée et d’une naissance
rapide. Notre petite Jeanne vient au monde, dans un silence déchirant. La
sage-femme l’emporte quelques instants et revient un peu plus tard :
« Elle est belle », nous déclare-t-elle. Balayant notre effroi face à
la mort qui s’est invitée là où nous l’attendions le moins, nous choisissons de
la voir. Nous sommes heureux d’avoir pris cette décision et de lui avoir
attribué son prénom, Jeanne. Cette brève rencontre avec notre bébé au doux
visage, notre bébé de rêve, est gravée en nous pour toujours.
Le cerveau et le corps en mode survie
Dans la chambre du service de maternité où je suis gardée en observation pendant deux jours, je suis épuisée et je peine à réaliser complètement ce qui vient de se passer. Mes proches ont accouru à mon chevet et sont effondrés. J’ai la sensation d’être dans un fonctionnement de survie. Je rassure mon entourage et échange beaucoup avec mon conjoint et l’équipe de suite de couches. La nuit, je me mets à écrire, mon cerveau semble me lancer des bouées de sauvetage et me dicter ce qu’il va falloir que j’entreprenne pour me relever. La parole et l’écrit s’imposent déjà comme des exutoires.
LA VIE D’APRÈS
Intégrer la réalité
De retour chez moi, les bras vides, il me fallait à présent faire face à la cruelle réalité. Le monde que j’avais construit s’était écroulé. J’étais sonnée, éreintée par ces émotions extrêmes et la violence des faits. Mon esprit fonctionnait à plein régime, me laissant peu de temps de sommeil et de répit. Je revivais les évènements en boucle, essayant de comprendre comment et pourquoi tout cela avait pu se reproduire. Chaque matin, le réveil était une torture avec la reprise en pleine conscience de la réalité. La mort de Jeanne était bien réelle, il ne s’agissait malheureusement pas d’un cauchemar.
Les montagnes russes émotionnelles
Avec les questionnements viennent aussi l’inévitable valse des sentiments complexes propres aux êtres humains : colère, culpabilité, tristesse immense, désespoir… Je me suis découverte dans des émotions extrêmes, face à une douleur que je ne pensais jamais vivre. Mon corps lui aussi exprimait la souffrance. Le vide provoqué par la mort de notre bébé me paraissait effroyable. Progressivement, je réalisais que j’allais devoir composer avec ce manque. Je luttais avec moi-même, faisant face souvent, m’écroulant parfois.
Le soutien de mon conjoint et de mon fils
Si
mon conjoint a lui aussi été très affecté, il est parvenu plus rapidement à
réintégrer son existence. Sa solidité et ses paroles toujours justes m’ont été
d’un grand secours. Il a assumé énormément de choses dans les premiers temps :
démarches administratives, logistique avec notre fils à l’école… Il a été
moteur pour organiser nos vacances à trois pendant l’année, des moments qui
nous ont permis de nous retrouver et d’imprimer de jolies images en nous malgré
la tempête que nous traversions.
Sans qu’il le sache, notre petit garçon m’a aidé à garder un pied dans le
présent. Nous ne lui avons rien caché, nous lui avons expliqué les choses avec
des mots à sa portée. Je me suis beaucoup questionnée sur l’impact qu’une telle
histoire pourrait avoir sur lui. Aujourd’hui, je suis rassurée de voir qu’il a
gardé sa joie de vivre et son humour. Sa
capacité d’enfant à être pleinement dans l’instant présent m’a beaucoup
inspirée.
Le rôle de l’entourage
Nos
proches ont été éprouvés et choqués par notre drame. Leur présence protectrice
et attentive a su réchauffer nos cœurs. Mes parents et ma sœur m’ont entouré de
leur amour, comme ils le font depuis toujours. Nos amis nous ont porté et ont
continué à nous apporter de la légèreté, à nous faire rire, alors que nous en avions
tellement besoin.
À l’inverse, certaines relations se sont distendues. Une telle épreuve ne
laisse plus de place à l’à peu près. Il faut aussi savoir se protéger et se
tourner vers des personnes positives.
Le deuil périnatal est un sujet tabou, intime, peu de gens osent en parler.
Certains de mes collègues et connaissances sont restés muets devant notre
épreuve.
Les vrais soutiens sont précieux et sont nécessaires dans la durée. L’une de
mes proches amies a été particulièrement à l’écoute et a su trouver les mots
pour me consoler, toujours doux et parfois teintés d’une touche de
spiritualité. Elle est pour moi l’un des piliers de ma reconstruction.
Le suivi psychologique
Dès
la sortie de la maternité, nous avons pris contact avec la psychologue du réseau
de périnatalité. Nos rendez-vous réguliers, au départ en couple, puis en
individuel pour moi, ont permis de nous décharger des émotions si vives qui
nous habitaient. Le fait d’être accompagnés par une professionnelle aguerrie au
deuil périnatal nous a rassurés. Les échanges ont notamment apaisé le
sentiment de culpabilité.
Immédiatement après le mort de Jeanne, je me suis beaucoup documentée sur le
deuil, à travers des sites et ouvrages. J’avais besoin de comprendre et
d’anticiper les phases par lesquelles j’allais passer, sans doute pour moins me
laisser surprendre et me rassurer sur ma « normalité ».
De même, je me suis tournée vers des
témoignages de parents qui avaient connu la perte d’un enfant. Je suis aussi en
contact numérique et physique avec quelques mamans, nos vécus communs nous
rapprochant et nous permettant d’être pleinement comprises.
Un deuil en évolution
Alors que près d’une année s’est écoulée depuis la mort de Jeanne, je mesure le chemin parcouru. Je suis passée par différentes phases, de la résistance au désespoir le plus total. J’ai vécu des hauts et des bas et c’est finalement plusieurs mois après les évènements que j’ai connu la période la plus sombre, alors que les fêtes de Noël approchaient et me rappelaient cruellement l’absence. Même si elle est terrifiante, il fallait que je passe par cette étape pour intégrer complètement la perte. Ce n’est qu’après que j’ai pu reprendre la voie de l’apaisement.
Une transformation
La mort d’un bébé, d’un enfant, nous change à jamais. La vie ne sera et ne pourra plus jamais être celle d’avant. Cette légèreté que le destin nous a volé modifie notre regard sur le monde. Nous ne pouvons plus nous mentir, elle nous pousse à revoir nos priorités. Car le temps du deuil est aussi celui de l’introspection. Ce cheminement avant tout solitaire nous met face à nous-même, nous confronte à nos choix et peut être source de profonds bouleversements.
Et l’avenir en ligne de mire !
Une
nécessité de changement, de renouveau s’est très vite dessinée de mon côté.
J’avais besoin d’imaginer un avenir dans lequel me réaliser davantage, de me
recentrer sur mes réelles aspirations. Quand on sait à quel point la vie est
fragile et que tout peut basculer du jour au lendemain, on envisage son
existence autrement.
Aujourd’hui, je m’investis dans de nouveaux projets, à mon rythme et en
continuant à prendre soin de moi car je sais que l’équilibre est encore
fragile. Pas à pas, j’avance, avec ma petite étoile logée pour l’éternité dans
mon cœur.
Claire A.
À lire aussi :
Charlene
29 Oct, 2020 à 13h48