Une mère face au suicide de sa fille de 16 ans
C’était un mardi du mois d’octobre 2016. J’étais au travail et l’hôtesse d’accueil m’a appelée pour me prévenir que mon mari m’attendait à la réception. Il voulait me parler. J’ai su d’emblée que quelque chose de grave s’était passé et cette intuition s’est confirmée quand j’ai vu le visage effondré de mon mari. Nous nous sommes isolés et, là, il m’a expliqué que la police était venue le trouver pour l’informer que notre fille de 16 ans s’était suicidée.
La quête du pourquoi
Impossible ! Non, je ne peux le croire ! Comment ? Le sol s’est dérobé, j’ai basculé dans un abîme sans fond. Tout s’est écroulé en moi et autour de moi. En cet instant, un cataclysme dévastait mon existence.
J’ai très vite cherché à comprendre, à vouloir mettre du sens sur ce geste incompréhensible. J’ai rencontré les amies de ma fille. Je leur ai demandé si elles avaient repéré des changements, si ma fille leur avait paru différente ces derniers temps. Je suis allée dans sa chambre pour trouver des « indices », chercher un mot qu’elle aurait pu écrire, regarder dans son ordinateur, sur son facebook pour essayer de comprendre…
J’ai relu les SMS qu’elle m’avait envoyés, ceux qu’elle avait adressés à son frère et à sa sœur. Comme j’ai senti que mon acharnement à comprendre semblait excessif aux yeux des autres, j’ai cessé mes questions, même si, au fond, elles ne m’ont jamais quittée.
« J’avais été une mauvaise mère »
Contrairement à d’autres parents qui ont connu ce drame, je n’ai pas eu de pensées suicidaires. Pas plus que je n’ai eu de comportements à risque comme boire de l’alcool de façon excessive ou pratiquer un sport extrême qui m’aurait mise en danger…
En revanche, j’ai éprouvé un sentiment de honte des plus tenaces, ma culpabilité rejaillissant sous cette forme. Je me disais que si j’avais été une bonne mère, ma fille se serait confiée à moi, elle m’aurait dit ses difficultés, elle ne se serait jamais suicidée. Si j’avais été une bonne mère, j’aurais repéré sa souffrance, anticipé son geste. Mais comme j’avais été incapable de tout cela, la conclusion s’imposait d’elle-même : j’avais été une mauvaise mère.
Une terrible culpabilité
L’unique personne à qui j’osais parler de cette culpabilité était mon mari. Il m’a été d’un grand secours. Il reconnaissait que lui non plus n’avait rien vu. Par la suite, nous avons réfléchi à la façon dont nous avions élevé nos enfants : avions-nous été trop sévères ? Trop exigeants ? Pas assez aimants ? Nous avons passé au crible notre éducation, nos valeurs. Bien sûr, nos choix n’étaient pas parfaits, mais ils nous semblaient équilibrés, ni trop permissifs, ni trop stricts.
Mon mari a pris le parti de continuer à élever nos enfants comme il l’avait fait jusqu’ici. Pour ma part, j’ai choisi d’être plus souple et de privilégier le moment présent. Bien sûr, il était important que mes enfants réussissent à l’école et se préparent un bel avenir. Mais il était tout aussi important qu’ils passent leurs samedis avec leurs amis ou que je ne les reprenne pas chaque fois que je les voyais s’éterniser sur leurs écrans de téléphone. Au fond, et je l’avais compris, je vivais dans l’angoisse qu’il leur arrive quelque chose et qu’eux aussi ne passent à l’acte…
Être épaulé par un thérapeute
J’ai traversé une longue période d’épuisement et de totale lassitude où je n’avais plus goût à rien. Un mouvement dépressif s’est installé. Je n’arrivais pas à sortir de l’état d’angoisse, de culpabilité et de désespoir dans lequel j’étais. J’ai pensé pouvoir avancer seule, que le temps ferait son œuvre, que je finirais pas pouvoir vivre avec la perte de ma fille. Mais il n’en était rien. Comme je ne parvenais plus à être suffisamment présente et attentive à mes enfants, je me suis décidée à aller consulter un thérapeute.
J’ai demandé à mon médecin généraliste le nom d’un praticien qui pourrait m’aider. J’ai appelé le psychiatre qu’il m’a recommandé et, étonnamment, celui-ci qui m’a renvoyé vers une consœur spécialisée dans l’accompagnement des personnes en deuil.
Faire face à ma colère
À vrai dire, j’ai d’abord été inquiète de devoir être accompagnée par une thérapeute aussi spécialisée, mais mes réticences sont rapidement tombées. Lors des premières séances, j’ai cru que mon chagrin ne retomberait jamais, que je me maintiendrais en vie pour mes enfants, pour mon mari, mais que, au fond, je n’aurai plus jamais le goût de vivre. C’était sans connaître le rôle décisif et constructif de la thérapie. Face à cette professionnelle qui ne me jugeait jamais, j’ai pu tout dire, y compris ce que j’avais de plus tabou : que j’étais en colère après ma fille, que je lui en voulais de s’être suicidée et de nous faire autant souffrir.
Ne plus m’interdire d’être heureuse
La première année, j’étais incapable de m’acheter un vêtement ou un bouquet de fleurs. Je n’allais plus au cinéma, je refusais toute sortie : il me semblait indécent de me faire plaisir, de m’accorder « du bon temps » alors que la vie avait semblé si insoutenable à ma fille qu’elle n’avait pas eu d’autre choix que d’en finir avec.
« Tu te punis, me disait mon mari. Et te punissant, tu nous punis avec toi. » Et il avait raison : mes autres enfants avaient envie d’aller au cinéma avec leur maman, ils étaient heureux quand je posais un bouquet de fleurs sur la table de la cuisine. Alors, lentement, j’ai revu mon jugement et je me suis de nouveau autorisée à me faire plaisir… pour eux, mais, avant tout, grâce à eux.
Ma fille fait pleinement partie de ma vie
Le chemin de retour à la vie fut très long, avec des pas en avant, des pas en arrière. J’avais la sensation que je ne parviendrais jamais à sortir de cet abîme qui m’entraînait toujours vers le fond malgré les moments de répit. Mais plusieurs années après, la souffrance s’est apaisée, j’ai peu à peu repris goût de la vie. J’ai progressivement retrouvé du plaisir dans la vie au quotidien, repris conscience de la valeur des choses, de la chance d’avoir tous mes enfants, un mari, une famille, des amis. Oui, « tous mes enfants », car où qu’elle soit, ma fille fait toujours pleinement partie de ma vie.
Frédérique P.
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20 Déc, 2022 à 16h02