Phase 4 du deuil : la restructuration
Cette dernière phase a bien souvent déjà commencé pendant les phases précédentes(1). Telles des plaques tectoniques, les phases se superposent les unes aux autres. C’est encore plus vrai pour les phases 3 et 4 : pendant que des niveaux de la personne endeuillée sont en déstructuration d’autres niveaux débutent une phase de restructuration.
À cette étape, la personne endeuillée n’aurait jamais imaginé que le processus de deuil soit aussi long. Et si intensément douloureux. Pour certains ce chemin aura pris des années. Cela représente beaucoup de temps et d’énergie.
Le retour à la vie
Des mois, des années après le décès, l’entourage peut penser que tout est fini, que la page est tournée depuis longtemps. Loin de là. La cicatrice reste toujours présente après le travail de deuil accompli. Le manque de l’être aimé se fera toujours ressentir, et cela est normal. Des émotions, des souffrances et des nostalgies pourront ressurgir dans des situations qui rappellent l’être cher. Le ressenti peut être vif et poignant mais il ne sera plus aussi dévastateur que par le passé. Car la personne endeuillée a établi une relation avec la personne disparue, un lien intérieur qui les relie à chaque instant.
Peu à peu, elle va entrevoir la possibilité de reprendre pied dans une existence à jamais modifiée. Bien qu’elle soit épuisée, elle sent émerger en elle une force qui tend à la remettre doucement dans le courant de vie. Ce mouvement inconscient est induit de façon naturelle par le processus de cicatrisation.
Des résistances transitoires
Plusieurs résistances intérieures peuvent apparaître au moment d’envisager un retour à la vie. Elle peut ressentir le « sentiment de culpabilité du survivant », elle qui pensait ne pas arriver à survivre à l’être disparu : « Comment pourrais-je souhaiter vivre alors qu’il n’est plus ? ». Elle peut aussi penser : « Quitter le deuil, n’est-ce pas trahir la mémoire de l’être disparu ? », « Ne vais-je pas perdre le lien avec lui si je quitte ma souffrance ? »… À ces interrogations s’ajoute la peur de l’inconnu. Aller vers l’avenir c’est sortir du cadre du deuil dans lequel on a ses repères, ses habitudes depuis des mois, des années.
Une métamorphose intérieure et extérieure
Au fil de ses oscillations émotionnelles, avec des pas en avant, des retours en arrière, la reconstruction œuvre dans toutes les strates de l’existence de la personne endeuillée. Des ajustements successifs ont lieu, qui mènent à de profonds remaniements dans la relation à soi, la relation à autrui et au monde, et la relation au défunt.
Changement des rôles dans la famille
La disparition de l’être aimé a déconstruit une structure familiale où chacun avait sa place. Comment redéfinir les rôles de chacun ? Il s’agit d’être vigilant à ce que l’un des membres de la famille ne prenne pas le rôle du père ou de la mère disparue au détriment de ses propres besoins (d’enfant, d’adolescent…). Il y a aura sans doute nécessité d’acquérir de nouvelles compétences pour gérer le patrimoine, s’occuper des enfants, avoir une activité professionnelle… Enfin, vient le temps de prendre une place à part entière dans la société, par soi-même. Et non plus en tant qu’épouse, mère, père du défunt…
Les premières retrouvailles avec autrui
Reprendre pied dans une vie sociale et amicale va demander beaucoup de courage et d’énergie. Il faudra faire face aux questions des uns, aux regards curieux des autres, revoir des personnes qu’on ne voyait plus depuis longtemps, notamment celles qui ne se sont jamais manifestées pendant le deuil… Il y aura sans doute un certain malaise dans les premières retrouvailles. Alors que d’autres rencontres seront plus faciles et agréables, en particulier avec les personnes qui ont soutenu avec constance la personne endeuillée.
Une vision de la vie modifiée
Dans tous ces moments, la personne endeuillée est amenée à exprimer sa nouvelle vision de la vie. Aura-t-elle le goût de s’ouvrir aux couleurs, aux saveurs et aux imprévus de l’existence ? Évitera-t-elle d’entrer en contact avec un monde qu’elle juge dur et inquiétant ? Choisira-t-elle se recroqueviller dans une existence restreinte, comme étouffée ? Ou aura-t-elle envie de le redécouvrir, de s’y réinvestir ?
Prendre une nouvelle place
La confrontation avec l’indifférence et l’insensibilité d’autrui peut être rude. Comme peut l’être le constat de l’impermanence de sa propre existence, de la légèreté de l’empreinte que l’on laisse dans ce monde. La personne endeuillée comprend que la vie a continué sans elle, à grande vitesse, chacun étant affairé à mener au mieux son existence.
Les cartes ont été rebattues, le jeu de la vie n’est plus le même. Cela peut être l’opportunité de jouer un nouveau rôle, de prendre une nouvelle place. L’espace intérieur devient alors le lieu d’une nouvelle naissance, le creuset alchimique d’une profonde transformation.
Une nouvelle relation avec soi-même
Le travail du deuil refond, jour après jour, toutes les idées que l’on avait sur soi, la vie, la mort, le sens de son existence, les priorités que l’on se donnait. On porte sur soi un regard lucide et sans concession. Quel amour ai-je pour moi ? Et pour autrui ? Qui suis-je vraiment ? Vais-je me traiter dorénavant avec respect et tolérance ? Vais-je prendre soin de moi ? Vais-je laisser la culpabilité et la colère m’enfermer dans une boucle d’amertume et de mépris ? Quel sens vais-je donner à ma vie ?
Un changement de priorités
Plusieurs choix sont possibles après avoir vécu l’expérience du deuil : s’ouvrir à la vie en confiance ou se renfermer sur soi, avec le risque d’une reconstruction disharmonieuse.
Pendant sa douloureuse traversée la personne endeuillée a découvert des ressources intérieures insoupçonnées. Elle peut en retirer une grande force, une grande confiance, une nouvelle vision de la vie. Cela l’amène à relativiser nombre d’événements et à redistribuer ses priorités : privilégier l’instant présent, vivre de façon plus authentique, avec douceur, s’immerger dans le silence, la nature, la musique, prioriser l’être plutôt que le faire et le paraître, apprécier ce que l’on a…
Intégrer l’absence de l’être aimé
En regardant le chemin parcouru, la personne en deuil peut constater avec gratitude l’immense puissance de guérison du processus de deuil qui l’a portée jusqu’à aujourd’hui. Dans son cœur elle peut remercier la vie d’être parvenue à se reconstruire alors que cela lui semblait totalement impossible. Ne plus lutter contre la disparition de l’être aimé, intégrer son absence dans son existence : elle sait qu’en franchissant cette ultime étape, elle laisse derrière elle le plus gros du deuil.
Une nouvelle relation avec le défunt
La construction d’un lien intérieur avec le défunt est le signe manifeste d’un travail de deuil bien accompli. Pour la continuité harmonieuse du deuil, il est important de regarder l’être disparu avec une certaine objectivité, sans l’idéaliser. Voir ses défauts et ses qualités. Il est tout-à-fait possible qu’apparaissent des mouvements d’identification aux comportements ou habitudes du défunt. C’est une façon de maintenir un lien avec lui.
La date anniversaire du décès et toute autre date en rapport avec la personne disparue sont des moments particuliers qui peuvent réactiver une profonde tristesse. Cela est normal. Des gestes de soutien, des signes d’attention seront précieux pour accompagner la personne endeuillée lors de ces périodes anniversaire.
Ouvrir les nouveaux chapitres de sa vie
De nombreux autres événements peuvent faire ressurgir de façon plus ou moins atténuée la douleur du deuil : parvenir au même âge de la personne disparue, entendre une chanson qu’il aimait… Il s’agit du phénomène de correspondance.
Parler à l’être disparu comme s’il était là, mener à bien un projet qui lui tenait à cœur, le solliciter pour des décisions importantes… Tout cela participe à un dialogue intérieur harmonieux avec lui. Avec la liberté d’ouvrir de nouveaux chapitres de sa vie sans lui.
(1) La restructuration peut commencer avant le décès lorsqu’il y a un accompagnement de fin de vie. Les deux proches peuvent se préparer à leur prochaine séparation et envisager ensemble l’avenir de la personne endeuillée.
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Christine Lielens
04 Mar, 2023 à 19h07