Phase 2 du deuil : la fuite, la recherche
Les obsèques ont eu lieu. La personne endeuillée, de retour chez elle, fait face à une vie à jamais changée par l’absence de l’être aimé. Que faire ? Comment continuer à vivre ? La deuxième phase du processus de deuil a commencé. Cette étape va durer entre six et dix mois (en général huit mois), jusqu’à quinze mois en cas de deuil traumatique. Ce qui induit que la troisième étape commence en général presque un an après le décès. C’est important de le garder en mémoire, car peu de personnes le savent.
Une perte totale de repères
Jour après jour, la disparition des repères et les habitudes qui rythmaient les échanges avec l’être aimé laissent place au vide. Les partages qui structuraient les journées se sont évanouis. Cela est profondément déstabilisant pour la personne endeuillée. La disparition de ces repères peut entraîner la sensation de perte d’identité, voire de dédoublement : la personne est à la fois là mais aussi pas vraiment là, car détachée tel un observateur de sa propre existence.
Face à la disparition inéluctable de tout ce qui la reliait à l’être cher, elle peut être prise de panique. Tout s’écroule dans sa vie. Son comportement peut prendre alors deux directions simultanées et complémentaires : la fuite et la recherche. Ces mouvements sont inconscients, la personne n’a pas de prise sur leur apparition mais elle peut agir sur sa façon de les vivre.
Fuir pour ne pas ressentir la douleur
Le vide incommensurable qui est dorénavant au centre de l’existence de la personne endeuillée engendre une telle souffrance qu’il est impossible pour elle de la laisser monter, de la regarder en face. Le traumatisme est si fort. Elle va mettre en place toutes les solutions d’évitement pour s’étourdir, fuir, empêcher de ressentir cette immense douleur.
Cela se traduira par l’épuisement dans le travail, une hyperactivité dans des occupations bénévoles, professionnelles, sociales… Pour d’autres ce sera de ne surtout pas laisser apparaître leur agitation intérieure. Ce faisant en voulant l’enfouir ils s’épuisent tout autant. Cette fuite en avant est incontournable et normale, c’est un temps d’ajustement entre la vie d’avant et la vie à venir.
Rechercher des contacts avec l’être aimé
Chaque jour révèle la disparition de l’être aimé mais intérieurement la personne endeuillée est toujours dans la lancée de son mouvement relationnel avec lui. La dynamique de cet ancien lien va durer plusieurs mois après le décès. Comment nourrir cette relation, comment garder contact sensoriellement avec l’être disparu avant qu’il ne s’efface définitivement ? Comment être encore en proximité avec lui ? C’est ce que va chercher de toutes les façons la personne en deuil.
En sollicitant tous les sens : l’ouïe, la vision, l’odorat, le toucher… Par des photos de l’être cher, en écoutant sa voix sur le répondeur, en portant ses vêtements, en utilisant ses objets, en retrouvant son parfum, son odeur… Certains continuent même d’envoyer des SMS à la personne disparue, à lui parler dans l’appartement, à voir sa silhouette… Ils ne deviennent pas fous. Tout cela est parfaitement normal.
Trouver des signes de sa présence
Cette recherche peut être obsessionnelle mais elle est logique, car il s’agit de retrouver à tout prix un contact avec l’être cher. Dans une vaine tentative d’annuler son insupportable disparition.
Il arrive que surgissent spontanément des signes de la présence de l’être cher : on sent son parfum, le toucher de sa main, on entend sa voix… De très nombreux témoignages attestent de leur existence. Ces manifestations portent le nom de « vécu subjectif de contact avec un défunt » (VSCD). Ils sont relatés en grand nombre, suffisamment pour être considérés et pris au sérieux.
Des incompréhensions avec l’entourage
La période d’intense recherche s’accompagne d’un temps d’attente. Tout semble en suspens. La personne endeuillée peut avoir l’impression que l’être disparu va revenir, ou que quelque chose de grave va se produire. Sa propre vie pourrait-elle s’arrêter ?
Cette focalisation si intense sur la personne disparue peut déstabiliser l’entourage de la personne en deuil. Les proches peuvent ne pas comprendre cette volonté de garder contact de toutes les façons avec l’être aimé avec des photos sur les murs, etc.. Les critiques peuvent survenir et heurter violemment la personne endeuillée qui se sentira incomprise. Cela peut renforcer son sentiment de solitude et d’isolement. Elle pourra exprimer son amertume ou son agressivité à son entourage qui fait preuve de maladresse.
Nuancer les réactions de ses proches
Les conseils non avisés et les jugements à l’emporte pièce que ses proches lui adressent résultent bien souvent de leur ignorance de ce qu’est le processus de deuil. Il faudra, pour la personne endeuillée, faire preuve de compréhension et ne pas trop vite les condamner. S’ils semblent distants et avoir déjà tourné la page, peut-être est-ce parce qu’ils se sentent impuissants, mal à l’aise devant sa souffrance. La personne en deuil pourra sentir monter en elle de l’irritation et de la colère à l’égard de ses proches. Tout en n’appréciant pas le personnage qu’elle devient lorsqu’elle rumine et exprime ses reproches. Ce vécu est transitoire.
Le besoin d’être aidé
La personne en deuil peut se sentir tiraillée par des mouvements contradictoires : avoir envie et besoin de se rapprocher de ses proches mais avoir l’intime conviction qu’ils ne feront que la séparer plus encore de l’être cher qu’elle cherche tant à garder auprès d’elle.
Les proches quant à eux peuvent avoir l’impression que leurs efforts sont vains ou mal reçus. Ils pourront prendre un peu de distance avec elle devant cet inconfort relationnel. De part et d’autre, il pourra y avoir des frustrations, des incompréhensions. Il est fort possible que la déception entraîne des ruptures ou qu’au contraire des personnes moins proches se révèlent salutaires dans l’aide qu’elles apportent. Le tissu relationnel sera donc probablement durablement modifié.
Un fait demeure certain, la personne endeuillée a un besoin considérable d’être aidée par son entourage, en dépit des messages contraires qu’elle peut lui adresser.
Des ajustements relationnels
Les ajustements avec les proches se feront pas à pas, quand la personne endeuillée aura retrouvé assez d’énergie pour le faire. En s’adaptant à son interlocuteur, elle saura ce qu’elle peut demander à la personne qui est en face d’elle. Elle pourra lui exprimer ses besoins, ses attentes, l’informer sur ce qu’elle vit. L’initier à la réalité du deuil si cette personne n’a jamais connu la perte d’un être cher. À ce sujet, nous vous invitons à lire la Lettre à celui ou celle qui veut m’aider publiée par Christophe Fauré dans son livre Vivre le deuil au jour le jour (1). Elle décrit avec justesse les mouvements intérieurs que traverse une personne endeuillée. La réalité qui est la sienne. Ses besoins et comment ses proches peuvent l’aider.
(1) Éditions Albin Michel, nouvelle édition revue et corrigée 2018.
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Isabelle
10 Sep, 2022 à 14h10