L’adolescent en deuil
Toute l’énergie de l’adolescent est consacrée à l’ambitieuse entreprise de construire jour après jour l’adulte qu’il va devenir. Il déploie tous ses efforts pour devenir indépendant. Il a renoncé à son monde enfantin et à l’illusion de parents tout-puissants. Son corps est en pleine transformation, il quitte ses formes d’enfant mais il n’est pas encore devenu celui d’un adulte. Le monde de l’adolescent est en totale mutation.
Quand survient le deuil, l’adolescent le vit comme une aberration. Cela le révolte, il essaie de lutter contre cette absurdité.
Il devient différent des autres adolescents
Toutes les avancées qu’il a réalisées dans son chemin vers l’autonomie se trouvent remises en question. Il a envie de pleurer, de se blottir dans les bras du parent en deuil, comme tout enfant qu’il est encore. Comment se comporter en adulte ? Le monde dans lequel il avait commencé à évoluer n’est plus sous son contrôle. La mort qui le touche le met à part, il devient différent des autres adolescents. Il se retrouve en dehors de la normalité dont il se préoccupait tant.
L’ambivalence des sentiments
Comment dire sa souffrance ? Il peut osciller entre une retraite mutique dans sa chambre ou des débordements émotionnels qu’il ne maîtrise pas. Ce qu’il ne peut pas (ou ne veut pas) dire s’exprimera par la mise en acte de sa souffrance. Il la montrera dans un accès de colère, le refus de se rendre au lycée, des conflits dans la sphère familiale… L’action lui évite de devoir ouvrir son cœur et de montrer sa vulnérabilité. Pourtant son comportement agressif ou violent cache son besoin d’échanger. Il est dans une ambivalence totale : il souhaite échanger mais n’autorise ni ne facilite l’opportunité de le faire. Il a tant besoin de mettre des mots sur sa douleur. Il est pétri de contradictions. Il recherche incessamment la communication avec l’autre tout en la refusant.
Un attrait paradoxal pour la douleur
Il se révolte contre la douleur de son deuil mais il s’y abandonne avec un certain plaisir parce qu’il y découvre une richesse qui le trouble. Il n’y a aucun mal à cela. Pour se départir de l’éventuelle culpabilité de vivre cet attrait paradoxal, il pourra parler à une personne de confiance. Cela pourra l’ouvrir à de nouvelles prises de conscience. Et cela lui évitera de perdre beaucoup d’énergie à vouloir réprimer ce qu’il ressent.
En vivant le deuil, il entre dans un nouveau champ d’expérience qui lui fait toucher des aspects essentiels de sa vie. Le deuil révèle des interrogations métaphysiques qui rejoignent la quête de sens de son existence. L’intensité de sa souffrance est aussi forte que celle des tourments qui l’agitent. Il est au cœur d’un vortex de sentiments d’une telle amplitude qu’il a la sensation d’être quelqu’un à part. Cela peut renforcer son identité personnelle.
La perte de repères
Le décès de l’un des parents induit la perte des repères qui ont participé à l’édification de l’identité de l’adolescent. Sa base n’est pas menacée mais ce changement intervient à un moment de son développement psychologique où il a besoin de s’identifier au parent du même sexe et où il redéfinit sa relation avec le sexe opposé. Le deuil ajoute une difficulté supplémentaire à ce processus délicat. Il est dorénavant privé d’un référent avec lequel (ou contre-lequel) il pouvait se définir. Dans le domaine des relations affectives sociales, sexuelles, professionnelles, il ajustait ses choix en réaction à ce que montraient ses parents. Après le décès de son parent, il peut connaître une certaine confusion car il a perdu des repères. Il devra dorénavant s’appuyer sur ses intuitions pour poser des choix qui sont en cohérence avec ce qu’il est profondément et ce qu’il souhaite devenir.
Des appuis hors du cercle familial
Il pourra également trouver des appuis à l’extérieur de sa famille. Comme nous l’avons précisé pour les enfants plus jeunes, c’est hors du cercle familial qu’il pourra rencontrer des personnes qui feront office de « substitut » du parent disparu : un oncle, une tante, un cousin, un(e) ami(e) de la famille, un professeur… Il trouvera en lui(elle) des comportements, des traits de caractère auxquels s’identifier et qu’il souhaitera intégrer dans sa personnalité. C’est une certaine responsabilité d’accompagner ainsi un adolescent, l’adulte devra agir avec finesse et respect, en trouvant la bonne distance.
Sa réaction face au nouveau conjoint de son parent
À fleur de peau, l’adolescent est totalement investi dans les valeurs d’authenticité, de transparence et de loyauté. Sa quête d’absolu ne laisse pas beaucoup de place aux compromis et à la tolérance. C’est pourquoi il pourra vivre comme une trahison la venue d’une nouvelle personne dans la famille en tant que nouveau conjoint du parent restant. Il pourra farouchement s’y opposer s’estimant le gardien de la mémoire du parent disparu. Il faudra avoir la sagesse de voir derrière la violence de ses propos, sa grande douleur et son besoin d’être rassuré sur le respect du souvenir du parent décédé. Il est important que le(la) nouvel(lle) ami(e) exprime qu’il n’est, bien sûr, pas question de remplacer son parent disparu, que jamais il(elle) ne se substituera à lui(elle).
La vie s’invite à chaque instant
Rassuré, il comprendra que l’amour a toujours sa place dans le cœur de son parent en deuil. Que la solitude pèse sur celui-ci, qu’il a besoin d’une nouvelle relation affective, que c’est un apaisement pour lui. L’adolescent comprend que lui-même ne peut suffire à combler ce besoin d’amour. Après l’avoir beaucoup rejetée, il considérera finalement la venue de cette nouvelle personne avec soulagement. Il n’aura plus à porter seul son parent meurtri par la perte de son conjoint. Il n’aura plus la responsabilité de le remplacer dans le cœur de ce parent. Et surtout, il reconnaîtra que la force de vie trouve toujours son chemin pour accueillir l’amour et la transformation à chaque instant.
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Chacha
11 Jan, 2022 à 05h52