La mort attendue
Contrairement à la mort brutale, la mort « attendue » s’inscrit dans un temps propice à la préparation, à un cheminement conscient et partagé avec l’être cher. Dispenser un accompagnement de qualité participe à la qualité du futur deuil, les deux sont intimement correlés. Jour après jour, au cours de cet accompagnement, la maladie impose une réalité que les proches doivent accepter. Ils sont amenés à faire face à l’inéluctable, à se sentir impuissants devant des événements qu’ils ne peuvent contrôler.
Un deuil commencé en présence de l’être aimé
Le travail de deuil commence du vivant de l’être aimé. Inconsciemment, le proche renonce aux projets qu’il avait avec lui. Le deuil du futur s’accompagne du deuil du passé, de ce que l’on ne pourra plus accomplir ensemble. Le proche est également confronté au deuil du présent : l’être aimé qu’il connaît disparaît peu à peu. Tant que l’échange est possible, la relation et l’attachement sont vivaces. Quand la communication devient impossible (confusion, coma…), il peut y avoir un progressif détachement. Il est important dans ce cas de se rappeler que la personne perçoit toujours la présence et l’affection des proches à ses côtés, même dans un état de coma profond. Le personnel soignant sait le rappeler avec bienveillance.
Vivre simultanément la proximité et la distance
L’accompagnement quotidien de l’être aimé induit une proximité grandissante avec lui. Sa maladie requiert de plus en plus d’énergie et de temps. En même temps qu’une intimité inédite s’installe, imperceptiblement et inconsciemment une mise à distance intérieure prend place. Le proche est dans la houle de ces deux mouvements contraires. Il s’éloigne progressivement de façon inconsciente pour se protéger de l’incontournable et douloureuse perte de l’être aimé qu’il va prochainement connaître. Il ressent une terrible angoisse face à cette perspective, il pressent l’intensité de ce qu’il va vivre. Cette peur, qui confine parfois à la panique, vrille son ventre, envahit ses nuits et ses jours. Pour lui, le monde n’a plus de sens, il peut avoir la sensation d’un effondrement intérieur.
Brassé par la peur et les mouvements contraires de proximité et de distance, le proche vit des émotions d’une intensité croissante, qui annoncent le climat futur de son deuil.
Des choix difficiles
Accompagner une personne que l’on sait condamnée implique de choisir ses combats. Veillera-t-on au respect scrupuleux du traitement médical (aussi épuisant soit-il) ou autorisa-t-on certaines entorses qui soulageront le malade ? Lui demandera-t-on de se forcer à manger ou respectera-t-on son absence d’appétit ? Que choisit-on de privilégier ? Son confort physique et psychologique ? Le strict suivi des prescriptions médicales ou sa qualité de vie ?
Des questions douloureusement complexes devront être envisagées avec le malade et le personnel soignant. Il faudra ainsi s’interroger sur le don d’organes ou le bien-fondé de poursuivre un traitement qui semble devenu impuissant. Questionner le sens de maintenir la personne aimée en vie.
L’empreinte déterminante de l’équipe soignante
Les réponses à ces questions auront un impact immédiat sur la vie de la personne malade. Et elles continueront de résonner bien plus tard sur le vécu du proche, tout au long du deuil. Il passera au crible ses choix passés, s’interrogera sur leur pertinence, décortiquera les décisions qu’il a prises. Il sera aussi inévitablement marqué par l’harmonie (ou la dysharmonie) de l’attitude de l’équipe médicale, et la liberté qu’ils lui ont laissé (ou non) de vivre les derniers instants avec l’être aimé. Certains soignants prendront le temps de soutenir et de témoigner du respect et de la compassion aux proches et au malade. D’autres, écrasés par leur charge de travail, se limiteront à des gestes techniques. La qualité du soutien de l’équipe hospitalière est déterminante pour ces moments partagés de fin de vie, elle laissera son empreinte dans le deuil à venir.
Saisir la richesse de l’instant présent
Le proche pourra ressentir une éventuelle culpabilité sur les choix qu’il a faits et sur la qualité de son accompagnement. Mais il n’y a pas d’accompagnement idéal, ce qui importe vraiment est de saisir ce qu’offre le moment présent. La douloureuse réalité qui s’impose ne donne pas d’autre choix.
Dans cet unique présent tout est possible. Se parler, se dire enfin ce qu’on n’a jamais trouvé le temps ou le courage d’exprimer. Dire l’amour que l’on ressent. Pardonner ou se faire pardonner. Rassurer l’être aimé… Donner, recevoir un regard, un sourire. Un ultime geste de l’un ou de l’autre peut en un instant étancher la soif de toute une vie…
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Eve
13 Juin, 2021 à 01h20