Accompagner la fin de vie de notre fille de 14 ans
Ma fille m’avait téléphoné depuis son cours de danse : sa vue commençait à se troubler et parfois à se dédoubler ; elle demandait que je vienne la chercher. J’ai lâché mon travail, je l’ai rejointe et je l’ai trouvée pâle, fatiguée et surtout terrifiée par ses troubles de la vision qui se prolongeaient. Sur le moment, je n’y ai pas accordé grande importance : elle avait 14 ans, pratiquait la danse à un rythme soutenu et j’ai pensé que cela résultait d’une grande fatigue qu’accusait encore sa croissance.
Une prise en charge rapide
Une fois à la maison Julie s’est couchée immédiatement et a dormi jusqu’au petit matin. Le lendemain, les troubles de la vision avaient disparu, mais elle souffrait de vertiges et peinait à tenir debout. Nous sommes immédiatement allées chez le médecin et j’ai compris que son état était grave quand le généraliste a rapidement téléphoné à des confrères en leur demandant des examens le jour-même ou au plus tard dans le courant de la semaine.
Le travail de deuil débute du vivant de l’enfant
Les résultats sont tombés très vite : notre fille souffrait d’une tumeur au cerveau à un stade avancé. Les traitements ont été mis en place, mais ils n’étaient pas concluants : pendant plusieurs mois, notre fille « ne répondait pas », comme on nous l’expliquait et, progressivement, les chances qu’elle devienne sensible aux médicaments se sont amenuisées, puis ont finalement disparu.
Notre travail de deuil (le mien, celui de mon mari et de notre autre fille), ce travail a débuté du vivant même de Julie. Il a fallu vivre et abandonner les projets que nous avions ensemble (des projets de vacances, des projets de sorties très simples comme aller au cinéma tous les quatre deux fois par mois). Il a fallu accepter que ce que l’on imaginait pour elle un jour (elle intégrerait une belle école de danse, elle se marierait, elle aurait des enfants et nous des petits-enfants), ceci ne serait pas.
Entre fusion et confusion
Je me trouvais prise entre deux mouvements contraires : d’un côté, une forme de mise à distance qui, je crois, découlait de mon impossibilité à me projeter. De l’autre, et tout aussi réel, j’étais dans un état de proximité nouvelle avec ma fille, un état proche de la fusion qui s’exprimait dès que je poussais les portes de l’hôpital.
Désormais, nos échanges étaient réglés par les traitements et les soins et je sentais comme jamais jusqu’alors mon impuissance : je n’étais pas médecin, je ne pouvais rien faire pour aider ma fille. C’est à ce moment que j’ai souhaité me faire épauler par une psychologue de l’hôpital. Mon objectif était alors double : je voulais à la fois être soutenue, mais aussi comprendre ce que je pouvais faire pour accompagner ma fille autant que possible.
Choisir ses combats
Cette thérapeute m’a été d’une grande aide. Elle m’a expliqué que nous ne pourrions pas être sur tous les fronts, qu’il nous faudrait choisir nos combats, faire des arbitrages, et mon mari et moi avons dû décider ce que nous souhaitions le plus pour notre enfant. Voulions-nous qu’elle suive à la lettre le traitement médical qui l’épuisait et ne la sauverait pas ? Devions-nous nous obstiner à l’inciter à manger davantage alors que chaque bouchée l’écœurait ? La question qui se posait à nous était finalement de savoir quelle place nous accordions à sa qualité de vie, sous un angle physique, bien sûr, mais aussi psychologique.
Se concentrer sur le présent
Nous avons également dû apprendre à vivre au présent. La formule peut sembler convenue, mais penser et plus encore vivre au présent est presque contre-nature en Occident. Nos pensées nous conduisent souvent à regretter quelque chose qui n’est plus ou à redouter un événement qui n’est pas encore et qui, peut-être, ne sera jamais.
Saisir l’instant présent, son évanescence et sa beauté relève d’une démarche active, d’une discipline, même. Nous avons appris cela. Nous avons appris à lâcher prise pour nous concentrer sur l’ici et le maintenant et en saisir toute la richesse. Pour ne pas perdre un sourire. Savoir capter un regard. Oser dire que l’on s’aime et puis, un jour, se dire au revoir.
À l’heure des choix
En plus de cette psychologue, le personnel hospitalier nous été d’un grand secours pendant la durée de la maladie de notre fille. Nous n’avons jamais été seuls dans notre combat, nous étions avec eux. Ils ne nous ont pas lâchés un seul jour et leur soutien a été décisif quand il a fallu décider de l’intérêt de prolonger – ou pas – l’ultime traitement médicamenteux que recevait notre fille et auquel elle restait insensible.
Nous avons choisi. Nous savions que notre décision, quelle qu’elle soit, reviendrait régulièrement nous hanter. Nous avons choisi de donner sa chance au présent. Nous avons refusé de violenter plus encore le corps déjà blessé de notre ballerine. Nous l’avons laisser s’endormir doucement. Elle avait lutté pendant de longs moments, il était temps de la laisser se reposer enfin.
Christelle H.
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Micheline Vareilles
25 Août, 2020 à 17h52