À l’écoute des émotions d’une personne endeuillée
Le processus de deuil est essentiellement émotionnel. Pour une personne endeuillée, il va consister jour après jour à reconnaître, accepter et exprimer ses émotions, quelles qu’elles soient. C’est impératif pour sa future santé physique, psychique et relationnelle.
Comment favoriser l’expression de cette parole salutaire ? C’est avant tout grâce à l’écoute que l’accueil des émotions peut se faire. Offrir à une personne endeuillée une vraie qualité de présence et d’écoute, c’est lui donner la possibilité de parler et d’exprimer ses émotions librement et aussi longtemps qu’elle le souhaite. Cela contribue à décharger sa souffrance, et donc à l’apaiser. Pendant tout le temps de deuil, votre contribution sera primordiale pour encourager la libération de ses émotions.
Toute relation d’aide à l’autre requiert des compétences et des techniques spécifiques. L’écoute active(1) bien sûr, mais également le silence, la reformulation, l’interrogation…
Les recommandations que nous développons ici vous aideront à améliorer vos capacités d’écoute et de présence (à vous-même et à l’autre) pour mieux l’accompagner :
Vous informer sur le processus du deuil
On ne peut aider une personne endeuillée que si l’on comprend ce qu’elle vit. Pour ce faire, il est indispensable de connaître les phases et les émotions qu’elle va traverser. Le choc, la fuite, la colère, le vécu dépressif, la déstructuration… Ce seront des repères utiles pour vous, en particulier lorsque vous vous sentirez démuni(e) face à l’intensité des émotions et à leur durée.
Un accompagnement selon votre disponibilité
Exprimez clairement à la personne endeuillée que vous souhaitez l’accompagner à traverser cette épreuve. Allez explicitement vers elle, vous l’aiderez à vaincre ses réticences ou ses inhibitions. Appelez-la, proposez-lui de la rencontrer, vous pourrez ainsi l’inviter à se confier sur ce qu’elle vit intérieurement. Cela contribuera à libérer sa peine.
Proposer sans être directif
La personne endeuillée traverse des périodes de grande amplitude émotionnelle, avec, selon les moments, le besoin de silence ou de raconter et répéter jour après jour. Adaptez-vous à ses besoins. Faites-lui simplement sentir que vous êtes à ses côtés. Amenez la conversation, mais sans jamais l’imposer. Offrez-lui votre affection, accompagnez-la sans rien attendre, sans vouloir interférer avec un processus qui est le sien. Laissez-la parcourir son propre chemin. Vous êtes au présent, et vous accueillez avec elle ce qui se présente.
Aider à verbaliser
Il s’agit de sortir du non-dit, de ne pas se comporter comme si de rien n’était, de ne pas avoir peur de « remuer le couteau dans la plaie ». Au contraire, faites parler l’endeuillé de la personne décédée encore et encore. Interrogez directement ses émotions, invitez leur expression par des questions ouvertes : « Comment vas-tu aujourd’hui ? Quelle émotion ressens-tu à l’intérieur de toi. Quelle est-elle ? Que dit-elle ? ».
Laissez-la parler, même si elle a du mal à s’exprimer, à trouver ses mots. Essayez de ne pas intervenir. Ne terminez pas à votre manière les phrases incomplètes. N’interrompez pas trop souvent les silences. Donnez-lui tout le temps nécessaire pour aller au bout de ce qu’elle souhaite exprimer, elle n’en sera que plus soulagée.
Ne pas intellectualiser le vécu du deuil
L’intellectualisation (rationalisation, jugement, comparaison…) est un écueil possible. Cela signe une volonté de contrôle sur les émotions, pour se protéger face à l’intensité de ce qui est vécu. Restez présent, centré dans une écoute authentique. Montrez que vous êtes prêts à recevoir les émotions et la détresse de la personne en deuil sans prendre la fuite ni avoir peur. Encouragez-la à exprimer ses émotions sans qu’elle les censure ou veuille les contrôler.
Avoir une constance d’écoute et de patience
Des trésors de patience vous seront nécessaires car la personne endeuillée répétera souvent les mêmes choses, ce qui est indispensable. Vous pouvez être dérouté(e) car elle pourra vous donner la fausse impression de se complaire dans sa peine. Ce n’est que le déploiement normal de son deuil. Votre présence est facilitatrice, n’en doutez pas, surtout dans les moments où vous aurez l’impression de ne servir à rien. Maintenez votre soutien tout du long. Restez présent(e).
La communication non verbale
Votre attitude contribue à témoigner d’une écoute attentive : un regard appuyé, un geste de tendresse… Donnez-lui de nombreux signes visuels et verbaux d’intérêt. Cette attention centrée sur la personne passe par le contact oculaire permanent, par une position du corps, par des expressions de visage encourageantes. Tout cela valide ses émotions.
Accepter le silence
Les temps de silence sont aussi importants que les temps de parole. Ils aident la personne à entrer dans ses ressentis, ses émotions, ses sentiments, ses prises de conscience. Sachez ne rien dire, ne rien faire, simplement être présent. Une gêne peut surgir au début, laissez-la passer. Votre présence attentive et silencieuse permet à l’autre d’être en confiance, de laisser monter en lui une émotion ou une parole qui lui redonnera de l’espace intérieur.
Faire face à ses émotions en tant qu’aidant
Si vous sentez monter en vous des émotions, regardez-les, recentrez-vous, respirez, prenez une petite distance avec ce que vit votre interlocuteur, observez, soyez totalement au présent. Le silence permet à celui qui écoute d’être attentif à lui-même et de gérer ses propres émotions, induites par le discours de l’autre. Selon Carl Rogers, plus l’aidant est en capacité de s’écouter, plus il sera animé par le désir d’écouter vraiment l’autre.
Sans juger ni interpréter
Les réactions engendrées par le deuil sont souvent violentes, intenses. Chacun les manifeste à sa manière, selon sa personnalité et son vécu. Il s’agit pour vous de faire preuve de neutralité. D’accueillir sans juger, moraliser, interpréter ni anticiper. Une personne endeuillée a besoin de sentir qu’elle a en face d’elle quelqu’un qui est sincèrement disposée à tout entendre.
Faire preuve d’empathie
L’écoute des émotions de la personne endeuillée ne peut se faire qu’à travers un processus d’empathie. Soyez libre de tout préjugé à l’égard de cette personne, même s’il s’agit de quelqu’un que vous côtoyez depuis des années. Regardez-la comme si vous la voyez pour la première fois.
Inscrire votre aide dans la durée
Apportez une aide soutenue dans le temps. Ne lâchez pas la main de la personne endeuillée, 3 mois, 6 mois, 9 mois après les obsèques. Les émotions et la douleur peuvent être paroxystiques plusieurs mois après le décès (voir Phase 3 du processus de deuil), votre soutien sera essentiel à ces moments-là. Il n’y a pas nécessité d’être toujours présent physiquement, mais montrez-vous disponible et manifestez votre présence constante et bienveillante par un coup de téléphone, un SMS, un courrier, un mail…
L’art de la reformulation
Bouleversée ou confuse, la personne endeuillée peut s’exprimer de façon incohérente ou désordonnée. Vous pouvez l’aider à organiser ses pensées en reformulant ses propos. Cela facilitera sa parole. L’objectif est de l’aider à apaiser sa douleur ou ses inquiétudes. Ce faisant de l’aider à cheminer vers les réponses qui sont en elles. La reformulation est une technique d’écoute active qui consiste à renvoyer en miroir ce qu’un interlocuteur a dit, qu’il s’agisse de sentiments ou de faits.
Quelques formules utiles
Voici quelques exemples de formules utiles pour reformuler : « Voilà ce que tu sembles me dire : … Est-ce exact ? » ; « II me semble que tu éprouves :… » Est-ce bien cela ?» ; « Voilà ce que j’entends : … Est-ce bien ce que tu me dis ? ». Lors de ce processus, tentez de faire abstraction de votre cadre de référence mais sans perdre contact avec vous-même. Dans l’ici et maintenant, vous êtes focalisé sur votre interlocuteur, et vous l’accompagnez à concentrer son attention sur le présent.
Repérer les blocages et les signes d’alerte
Étant attentif aux émotions de l’autre avec constance, vous serez à même d’évaluer comment elles évoluent. Vous pourrez détecter d’éventuels signes de blocage du processus de deuil : une étape qui dure trop longtemps (un déni total de réalité deux mois après le décès…), un enlisement émotionnel (culpabilité écrasante, dépression…), des pratiques autodestructrices, des pensées suicidaires… Dans tous ces cas, suggérez à la personne un soutien psychologique auprès d’un thérapeute afin de l’aider à continuer d’avancer. Quitte à l’accompagner physiquement si vous décelez une urgence.
Tout aidant fait des erreurs
C’est inévitable. Vous pourrez prononcer une parole maladroite, proposer des solutions vaines… Ne vous en blâmez pas. Ce qui importe c’est que vous soyez présent, avec dans le cœur une intention sincère pour aider la personne endeuillée. Il est fort probable qu’elle ne s’apercevra même pas de vos relatifs faux pas, immergée dans sa propre peine.
Lorsque vous offrez une écoute empathique à une personne endeuillée, c’est votre cœur qui écoute prioritairement. Avec compassion, respect, patience et bienveillance. En offrant votre écoute, vous autorisez cette personne à parcourir son chemin dans un climat de confiance, à recevoir du réconfort tout au long du processus. Par votre présence, vous l’invitez à se laisser guider par ses propres questions et à trouver ses propres solutions. L’aidant est juste un facilitateur qui va aider la personne à trouver en elle tout ce dont elle a besoin, à mobiliser ses propres ressources, à trouver ses propres moyens pour avancer. Le rôle de l’aidant est humble et essentiel.
(1) L’écoute active est un concept développé à partir des travaux du psychologue américain Carl Rogers. Elle est également nommée écoute bienveillante. Initialement conçue pour l’accompagnement de l’expression des émotions, elle est opérationnelle dans les situations de face-à-face où le professionnel écoute activement l’autre. Elle consiste à mettre en mots les émotions et sentiments exprimés de manière tacite ou implicite par l’interlocuteur. Carl Rogers est le fondateur de l’approche centrée sur la personne (ACP). Selon lui « Chaque individu est unique. Il détient au plus profond de lui sa propre vérité, sa vie et le tracé potentiel de son chemin… Il peut accéder à ses ressources s’il se sent compris, accepté, non jugé. »
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GUILLEMETTE DANFA
14 Juin, 2023 à 10h06