La perte de mon fils, victime d’un acte criminel
Je n’avais jamais imaginé ma vie sans un de mes enfants, j’ai pensé naturellement que mes deux fils m’accompagneraient tout au long de ma vie. Comme on dit : c’était dans l’ordre des choses…
Une nuit, il y a quelques années, ma jolie petite famille a été pulvérisée. Tout a basculé soudainement, brutalement, atrocement.
Mon fils aîné, âgé de 21 ans, a été victime d’un acte criminel. Son ex-petit ami l’a cruellement tué à l’arme blanche. Je le connaissais, il venait à la maison, nous l’accueillions chaleureusement… Ils avaient vécu une histoire amoureuse d’un an et demi. Ils avaient rompu trois mois avant ce geste monstrueux que rien ne présageait. Il n’y avait jamais eu d’actes violents qui auraient pu nous mettre en alerte.
Cette nuit-là, mon compagnon et moi, inquiets du retard de mon fils, sommes partis à sa recherche. A dix minutes de la maison, nous sommes arrivés sur une scène d’horreur, les pompiers et la gendarmerie étaient présents. Tout de suite, j’ai vu le corps de mon fils étendu sur ce parking.
J’ai compris instantanément qu’il était mort. C’était d’une violence inouïe ; mes cris de douleur et d’effrois poussés cette nuit-là résonnent encore dans mes entrailles.
Tout s’est profondément imprimé, gravé, dans ma mémoire. La violence du choc a créé chez moi un état de dépersonnalisation et de sidération ; aujourd’hui encore je me rappelle des moindres détails mais j’ai toujours l’étrange sensation que c’est une autre personne comme un double qui a vécu ce moment abominable.
J’ai été tout de suite très bien accompagnée et conseillée par mon médecin généraliste. Une surveillance médicale régulière, un suivi avec un médecin psychiatre, des massages deux fois par semaine pendant les premières années.
Des séances d’EMDR* prescrites rapidement ont été très efficaces. Elles ont atténué l’intrusion persistante d’images dans mon quotidien ainsi que des hallucinations sonores. Pendant plusieurs semaines. Les mêmes journées se répétaient. Le jour j’agissais comme un robot mécaniquement, le soir c’était le black out total pendant 3 à 4 heures puis le réveil en état de choc. J’allais alors me glisser dans le lit de mon fils pour pleurer jusqu’au petit matin.
Je n’avais jamais eu à faire avec la justice, un monde, un jargon que j’ai appris à connaître dans un état de fragilité extrême.
Pendant presque deux ans le parcours judiciaire n’a fait que raviver, amplifier la douleur et le traumatisme. Dans un état d’hyper vigilance et d’extrêmes tensions, j’ai déployé une énergie considérable. Anéantie par la mort de mon fils, j’ai dû agir et faire face à des choses atroces. Je me demande encore aujourd’hui comment j’ai fait. J’étais en mode survie, en mode guerrière.
Le meurtrier incarcéré a pris en outre toute la place : son acte, ses paroles pendant les auditions, son manque d’empathie ont généré beaucoup de rage et des chocs successifs. Ses demandes de liberté conditionnelles ont provoqué chez nous un état d’alerte et de peur permanente.
C’était terrible car nous parlions assez peu de mon fils lors de ces rendez-vous judiciaires. J’avais envie de hurler. En fait, très vite, le meurtrier est devenu le seul sujet. Son ombre prenait toute la place. Finalement, les familles des victimes ont assez peu la parole. Difficile de faire son deuil dans ces conditions. Le contenu de l’ordinateur et du téléphone de mon fils saisis par la police étaient épluchés. C’était très dur de voir toute sa vie intime livrée à la lecture de toutes ces personnes que nous ne connaissions pas.
Quinze jours après la fin de l’enquête publique et l’ordonnance de convocation du meurtrier aux assises pour assassinat avec préméditation et guet-apens, il a mis fin à ses jours.
Fini. Tout s’arrête d’un coup. Il faut tout ravaler : l’impact cataclysmique de son geste sur ma vie et celle de mon fils cadet, l’atteinte mortelle à la petite famille que j’avais construite, l’effet désastreux sur notre santé physique et morale. De plus, un stress lié à une grande fragilisation financière était totalement injuste. Il n’y aura ni procès, ni même une audience. J’avais tellement besoin de dire toute la souffrance et l’horreur que nous avions subi. Surtout, je voulais parler de mon fils, je voulais rappeler combien il était beau, pétillant, gentil. C’était un jeune homme toujours prêt à rendre service et très à l’écoute des autres.
De nombreux évènements choquants et déstabilisants se sont ajoutés ;
une accumulation si lourde que parfois j’ai eu envie de mourir. C’était trop. J’ai culpabilisé de ces pensées par rapport à mon jeune fils. Il avait vécu assez de drame comme ça. Il a besoin de moi. L’ombre ne devait pas nous emmener tous, je me le répétais comme une guerrière.
Des articles de presse ont fait partie de ces chocs supplémentaires. Les journaux locaux ont réalisé leurs gros titres avec la mort de mon fils. Encore aujourd’hui, je suis indignée par la communication hâtive du parquet, des préfets aux médias.
Le secret d’instruction, les premiers mois, ne nous permettait pas de savoir comment il était mort exactement. La presse était toujours informée avant nous. Des questions tournaient en boucle dans ma tête : a-t-il souffert, est-il mort sur le coup ?
Quinze jours après son décès, je subissais un nouveau choc énorme. En entrant dans la maison de la presse de la petite ville où nous habitions, j’ai découvert qu’un magazine faisait sa Une avec en photo de couverture mon fils et son meurtrier. Le magazine populaire était en tête de gondole.
Dans notre petite ville, les gens se retournaient en me voyant, ils chuchotaient. Des journalistes rôdaient dans le quartier à la recherche d’informations. Ils toquaient à la porte de nos voisins. Je suis quelqu’un de pudique et discret, cela a provoqué une grande souffrance chez moi. J’avais le sentiment qu’on nous manquait de respect ou que les gens se délectaient de notre souffrance.
Nous avons fait la cérémonie d’adieu tôt le matin, le plus de discrétion possible était recommandée notamment en limitant le nombre de personnes pendant les obsèques. Les responsables des pompes funèbres nous avaient prévenus que des journalistes se tenaient tous les jours à l’affût devant leur bâtiment ; c’est pour cela aussi que le corps de mon fils avait été transféré dans le funérarium d’une autre ville proche.
Je ne supportais pas que son corps soit sous main de justice. Pendant presque deux ans, la tombe a été provisoire. Je voulais qu’on me rende mon fils et qu’il repose en paix.
Huit mois après le décès de mon fils, j’ai reçu par voie postale, le résumé de l’autopsie de son corps, sans aucune prévenance… seule à la maison, j’ai fait un malaise. Tout cela a été d’une violence extrême. Les chocs traumatiques se sont accumulés. Mon cerveau tentait de mettre des images à tout ce que j’avais lu, entendu, à tout ce qu’avait subi le corps de mon fils.
Pendant plus d’un an et demi, il m’a été impossible d’avoir des souvenirs heureux d’avant le drame. Les dernières images de mon fils et le parcours judiciaire bloquaient tout. Je suis restée sous tension pour pouvoir agir et la colère rugissait en moi. Je me sentais comme une lionne à qui on avait fait du mal à son petit.
Après l’arrêt de l’action judiciaire, j’ai voulu faire un dossier auprès de la CIVI**. Je ne le regrette pas. J’avais besoin de faire cette action jusqu’au bout, pour moi et pour mon jeune fils. Il était très important pour moi qu’un juge du tribunal civil, faute de mieux, reconnaisse toute la souffrance que nous avions tous endurée. C’était comme un devoir pour mes fils, comme un acte d’amour.
J’ai eu de grandes difficultés à accepter ma vulnérabilité
J’étais plutôt un bourreau de travail et pleine d’enthousiasme. J’étais quelqu’un sur qui on pouvait s’appuyer. A l’issue de ces deux ans, l’entourage a eu dû mal à comprendre et mesurer à quel point j’étais épuisée, fragilisée. J’ai commencé à faire des crises de panique, j’avais plutôt le sentiment que c’était des crises du manque charnel de mon fils. C’était comme une solitude abyssale en moi, comme un gouffre noir qui m’aspirait. Ma sphère sociale aussi a été complètement déstabilisée. Certains nous ont évité. J’ai également renoncé à quelques relations avec des personnes proches car nous étions devenus totalement incompatibles. J’avais le sentiment que je ne pourrais plus jamais avoir une vie normale. La pression sociale, les incompréhensions, la sensation d’être en décalage total ont déclenché chez moi des colères gigantesques, incontrôlables. Dès que je rentrais d’un rendez-vous avec notre avocat, la juge d’instruction… j’allais pendant des heures et jusqu’à épuisement couper du bois ou bêcher un talus plein de ronces dans mon jardin. Aujourd’hui, je contemple souvent ce talus. Il s’est transformé en une explosion de couleurs et de fleurs. Il reste pour moi un symbole de tout ce chemin parcouru. C’est comme si j’avais ramené un peu de lumière, un peu de beauté.
L’amour de mon jeune fils et de mon compagnon m’a fait tenir bon. Le jardinage, l’écriture, les bains de mer, les balades en nature; le goût des choses ne m’a jamais quitté .
J’ai eu beaucoup de mal à retrouver du sens à ma vie.
Petit à petit, une reconversion professionnelle dans les métiers du funéraire s’est imposée comme une nécessité. J’ai découvert dans cette tragédie ces métiers essentiels et tellement exigeants. Je tente de transformer mon épreuve en quelque chose de bien, de beau. Mon fils était plein de douceur et de gentillesse, il aimait tout ce qui était joli. Il me manque toujours énormément. C’est dur.
Aujourd’hui, j’ai accepté de vivre malgré tout. C’est sûr, je ne suis plus tout à fait la même qu’avant le drame. Mais, je souhaite rendre hommage à mon fils. Je veux être digne de tout son amour en continuant mon chemin, en conservant de la joie intérieure et une vie éclairée par lui. J’ai besoin de plus de moments de silence et de solitude qu’auparavant, mais j’ai à nouveau une vie sociale un peu plus apaisée.
La violence et l’horreur de cette épreuve m’ont rendu particulièrement sensible à la beauté de la nature et à la profondeur du cœur. Cette beauté me nourrit. Ce n’est pas tous les jours facile. Cependant, une chose que je ne croyais pas possible les premières années se produit … j’apprends à vivre avec cette blessure. Il m’arrive souvent aujourd’hui de sourire lorsque je pense à mon fils. Il continue d’exister à travers nous tous. Sa belle empreinte lumineuse a repris avec force sa place dans nos vies. Il nous éclaire et nous accompagne pour toujours.
Nathalie G.
NOTES :
*EMDR : Eye Movement Desensitization and Reprocessing est une méthode de désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires. Vous pouvez lire notre article à ce sujet : L’EMDR, une aide considérable
**CIVI : Il s’agit de la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions, juridiction spécialisée présente dans chaque tribunal judiciaire. Pour plus d’informations, consultez le site du gouvernement à ce sujet.
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Pascal Gendry
07 Juin, 2023 à 23h41