Ma sœur jumelle disparue avant de naître
Marie D. a pris connaissance de l’existence d’une sœur jumelle in utero lors d’une séance d’hypnose recommandée par sa psychologue. Cette découverte fut pour elle un choc et en même temps une véritable libération ! La cause de son mal-être lui était enfin révélée ! Tout prenait sens. Après cette révélation bouleversante, commence pour elle un long travail de deuil et de guérison du traumatisme de la séparation, dans un cheminement pas à pas vers l’apaisement.
En nous offrant son témoignage, Marie nous donne l’occasion de mettre en lumière un phénomène encore trop souvent méconnu bien que vécu par beaucoup de personnes (voir l’encadré « Un embryon sur dix a eu un jumeau »).
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INTERVIEW DE MARIE D.
Quand et comment s’est manifesté votre mal-être ?
C’est vers l’âge de mes 15 ans que des difficultés psychologiques ont commencé à handicaper sérieusement ma vie (même si tout était déjà en place bien avant, prêt à imploser…). J’ai connu des crises d’angoisse et de panique, des crises de tétanie, d’agoraphobie, une anorexie légère, des TOCS, la claustrophobie… et j’en passe. C’est pourquoi j’ai entrepris vers l’âge de 18 ans un suivi thérapeutique par un professionnel psy. Pour commencer, un passage (assez court) chez un psychiatre qui m’a gentiment gavé d’antidépresseurs et d’anxiolytiques, ce qui n’a fait qu’endormir encore un peu plus mon inconscient. Pendant plusieurs années, une psychologue m’a aidée à reprendre pied dans la vie. J’ai réappris à vivre, à refaire les choses petit à petit.
La psychologue qui me suit actuellement m’a « poussée » un peu plus loin dans mes retranchements. Elle m’a aidé à prendre conscience des difficultés encore présentes dans ma vie. Elle m’a montré que je pouvais aller encore plus loin même s’il y avait déjà beaucoup d’amélioration et de progrès accompli. J’ai fait d’énormes avancées avec elle à mes côtés. J’ai tout d’abord découvert que j’étais à haut potentiel. J’ai eu beaucoup de mal à encaisser cette nouvelle donne, car là aussi, en quelque sorte, il faut revisiter son histoire de vie et faire le deuil de tout ce à côté de quoi on est passé pendant des années. Depuis ce jour, je prends en considération mes véritables ressentis, et je me laisse guider par ce que je ressens au plus profond de moi. Cela m’a donné le courage de continuer ma quête de vérité.
Dans quelles circonstances avez-vous découvert que vous aviez une sœur jumelle in utero ?
Lorsque j’ai réalisé la sévérité de ma claustrophobie le jour où j’ai passé une IRM, cela a été un déclic. J’ai décidé d’aller au plus profond de moi pour comprendre ce mal-être si intense que rien ne semblait pouvoir guérir. J’ai donc fait une séance d’hypnose avec une personne fortement recommandée et vraiment douée dans son travail. Pendant des années, j’avais imaginé tant de scénarios, tous plus terribles les uns que les autres pour expliquer ce mal-être si tenace. Mais jamais celui-là : nous étions deux dans le ventre de ma mère et je suis la seule survivante !
Comment avez-vous vécu cette révélation ?
Durant la séance d’hypnose, la nouvelle a été un tel choc et en même temps une telle évidence, la plus grande de toute ma vie. Je pensais ne plus être sous hypnose tellement mon cœur battait fort et toutes les cellules de mon corps ressentaient si puissamment ma sœur ! J’espère me rappeler ce moment-là toute ma vie, car l’espace de quelques secondes, c’est comme si nous étions de nouveau toutes les deux réunies. C’était bouleversant, magique, puissant… je n’ai pas assez de mots pour le décrire.
Par quelles émotions avez-vous été traversée ?
Depuis cette découverte, je crois que je suis passée par toute la palette des émotions. Les deux trois premiers jours qui ont suivi, j’ai pleuré, pleuré, pleuré… sans pouvoir contrôler mes larmes. Elles sortaient en continu. Cette courte période a été pour moi une période d’euphorie malgré tout. Euphorie, car quand on passe une grande partie de sa vie à chercher des réponses, et qu’un jour, tout s’éclaire enfin, tout prend enfin un SENS, cela fait une décharge d’adrénaline et cela procure beaucoup de bien ! Je crois que ces premières larmes étaient des larmes de soulagement ! Je ne suis pas folle ! Je n’ai pas inventé tout ça et mon mal-être a enfin une véritable cause car j’ai vécu un traumatisme réel et RECONNU !
Je suis restée encore un peu dans cette euphorie. J’avais enfin retrouvé ma sœur, cette sensation était tellement puissante que j’ai pensé, pendant quelques temps, que nous allions enfin nous retrouver après cette longue absence ! Qu’elle était quelque part dans le monde et que le jour de nos retrouvailles allait enfin arriver !
Vous avez commencé à intégrer la réalité de son absence ?
Le véritable deuil a commencé quand j’ai compris que la revoir serait impossible. Malgré la logique de la chose, je peux vous assurer que mon cœur et mon âme ont mis quelques jours à l’intégrer. Cette prise de conscience est ma plus grande douleur jusqu’à ce jour, j’ai eu la sensation de la perdre une deuxième fois. Je pense que j’ai revécu, consciemment cette fois-ci, sa disparition et sa mort. À partir de ce moment-là, je suis entrée en deuil, véritablement.
J’ai vécu plusieurs deuils dans ma vie : mes grands-parents maternels, ma grand-mère paternelle, mon beau-père (maladie), ma belle-mère (maladie), mon cousin d’à peine 40 ans (suicide), le cousin de mon mari 32 ans (accident)… Je connais donc la douleur de la perte, ce vide, ce manque, cette colère… Mais sans vouloir renier tout l’amour que je leur portais et que je leur porte encore à tous, perdre ma sœur jumelle m’a déchirée, m’a arraché le cœur, a fait écrouler le monde sous mes pieds.
Ces émotions intenses se sont apaisées ?
Aujourd’hui, le quotidien reprend son cours et absorbe mes pensées, et je fais, je crois, des « pauses ». Vu que je suis la seule dans mon entourage à ressentir aussi vivement cette douleur, j’ai besoin de m’isoler pour passer du temps avec ma sœur. Ce témoignage lui est d’ailleurs dédié. C’est un temps où l’on peut être toutes les deux hors du tumulte de la vie.
Maintenant, je pleure encore, mais je sens que mes larmes sont maintenant des larmes de guérison. Ces larmes me font véritablement du bien. Je crois que c’est la première fois de ma vie que je pleure de cette façon. Elles me guérissent.
Quelles caractéristiques du deuil avez-vous reconnues dans ce que vous viviez depuis si longtemps ?
Sans avoir conscience que j’étais en deuil, ce que je ressentais était un sentiment d’extrême solitude malgré mon entourage. C’est, avec un peu de recul, le sentiment prépondérant qui m’a collé à la peau toutes ces années. Cette impression que la vie continue autour de soi mais qu’on n’arrive pas à y prendre part… Il y aussi les accès de tristesse, sans raison apparente, qui me submergeaient. Et un dernier point, qui je pense est propre à tous ceux qui ont perdu un être cher, c’est de toujours observer les visages autour de soi, en espérant trouver celui ou celle qu’on cherche dans la foule.
En quoi le deuil de votre sœur jumelle in utero est-il particulier par rapport à un autre deuil ?
La différence principale est qu’on est véritablement seule dans ce deuil. Dans le sens où personne sur terre ne pourra ressentir aussi puissamment que moi la douleur de l’avoir perdue. Normalement, quand un décès survient dans une famille, chacun est affecté et on se soutient mutuellement. On se retrouve, on parle, on évoque des souvenirs… Là je suis seule et personne n’est atteint comme je le suis. Malgré la bienveillance de ceux qui savent. Il n’y a que moi en deuil. Alors, pas de réunions familiales pour se soutenir, pas de veillées, pas de souvenirs car elle n’est jamais arrivée sur terre. Pour le coup, la vie continue, même pour mon entourage proche mais pas pour moi.
Et vous n’avez aucun support physique qui rappelle sa mémoire…
Il est compliqué de la rendre réelle car au final, sa personnalité n’est que le fruit de mon imagination. Je ne sais pas qui elle était, je ne la connais pas vraiment. Alors forcément dans mes pensées, elle est la meilleure sœur du monde, parfaite en tout point ! Mais je suis bien consciente que je l’idéalise. Peut-être qu’on ne se serait pas si bien entendu que ça au final ? Et elle n’aurait pas été mon double parfait non plus.
Et ce qui fera partie aussi de mon travail de deuil, ça sera de me construire. D’aller à la reconquête de qui je suis vraiment, de laisser sur le chemin mes peurs, mes mécanismes de défense, mes protections, et de réussir à être moi véritablement.
Pour finir, je trouve ça cruel de devoir lui dire au revoir alors que je n’ai pas eu la chance de la connaître si ce n’est que quelques semaines ou quelques mois dans le ventre de notre mère. Il est très difficile de faire le deuil de cette NON-RENCONTRE.
Comment vivez-vous cela ?
Comme dans chaque deuil je pense, il y a des hauts et des bas. Les premières semaines ont été très difficiles à vivre. Je ne pensais qu’à elle en continu, mais comme tout deuil la vie reprend le dessus et comme je n’ai pas de souvenir de vie avec elle, elle n’a jamais eu de place dans ma vie, si ce n’est qu’inconsciemment. Je trouve ça terrifiant, mais j’oublie parfois. Tout ce qui est en lien avec elle dans ma vie n’est que la souffrance et les peurs que j’ai pu ressentir toutes ces années. C’est comme si c’était un deuil à l’envers en fait ! J’ai eu la souffrance avant, pendant longtemps, et maintenant que je l’ai découverte cela est censé m’aider à aller mieux et à être plus heureuse. Je n’en suis pas encore là mais je sais que c’est le chemin.
Mais reste le manque malgré tout, comme si on avait toujours vécu ensemble…
Êtes-vous aidée dans votre cheminement ?
Oui, je le suis. Par mon mari, malgré le fait que je conçoive que ça soit très compliqué à comprendre pour lui. Il n’y a aucune « preuve » matérielle. Tout est uniquement basé sur mon ressenti à moi, mes sensations corporelles, psychiques… il ne peut que me croire sur parole. Et il me croit ! C’est donc le meilleur soutien qu’il puisse m’apporter !
Par ma psychologue, également, qui, elle, va m’aider à faire mon travail de deuil et à reprendre le contrôle de ma vie. Je pense qu’il lui faut, à elle aussi, le temps d’intégrer cette nouvelle information dans mon suivi psychologique.
Par ma cousine aussi, qui m’a toujours soutenue dans ma vie. Elle connaît tout mon parcours, mes souffrances, mes limites mais a vu aussi, souvent avant moi-même, mes évolutions, mes réussites et mon bonheur à venir. Elle aussi a été sous le choc en apprenant la nouvelle !
Enfin soutenue par vous ! Et par votre plate-forme ! Qui m’a fait accepter que, oui, j’étais bien en deuil.
Et aujourd’hui, avec un peu plus de recul, je sais qu’il va falloir que je trouve LA personne qui m’aidera à dépasser ce traumatisme et je dirai même, le transcender !
Avez-vous trouvé des rituels qui vous aident à avancer sur le chemin du deuil ?
Pas encore… je n’arrive pas à franchir cette étape. Je sais qu’il le faudra mais je sais aussi que ça sera le « début de la fin ». Que je devrai lui dire au revoir, la laisser partir de son côté et moi du mien. Et pour l’instant, je ne suis pas prête. Je viens de la retrouver. Je veux la garder encore auprès de moi comme si on allait se retrouver…
En janvier prochain, je vais fêter mes 40 ans. Maintenant je comprends pourquoi mon anniversaire a toujours été pour moi une journée très difficile à vivre. Dans ma famille aussi. Donc je veux qu’à partir de mes 40 ans, mon anniversaire devienne une belle journée pour nous fêter toutes les deux ! Ça sera notre journée. Je pense que je vais réinventer ce jour, trouver justement des rituels et, pour le premier, je me ferai tatouer. J’ai toujours voulu le faire mais je n’ai jamais trouvé quoi faire ; maintenant je sais. Ça sera elle et moi à jamais sur ma peau !
Quelles découvertes avez-vous faites en vous documentant sur ce sujet ?
Et bien déjà que cela existait ! Tout simplement ! Je n’en n’avais pas du tout connaissance et surtout pas de l’impact que cela pouvait avoir sur toute une vie ! J’ai aussi compris à travers mes lectures, que c’était un véritable traumatisme. Commencer les premières semaines de sa vie en côtoyant de si près la mort, qui plus est de son jumeau ou jumelle, de ressentir si précocement l’impuissance… Oui c’est terrifiant et vous marque à jamais. Cela fera toujours partie de moi mais ça ne me définira plus. Cela m’a légitimé véritablement ! Et c’est déjà beaucoup.
Cela éclaire-t-il votre parcours de vie ?
Tellement ! Et je n’en suis qu’au début ! Il faut que je refasse toute l’histoire de ma vie avec ce que je sais maintenant et cela prendra du temps. Mais dorénavant, j’aime me promener dans mon passé. Je peux enfin remettre chaque chose à sa véritable place et ne plus spéculer.
J’ai toujours eu un besoin puissant de vérité ! Donc maintenant je vais revoir l’histoire en vérité ! Et cela m’éclaire beaucoup. C’est tellement plus facile quand on a toutes les données !
Quels symptômes physiques et psychiques associez-vous à votre identité de personne en deuil de sa sœur jumelle ?
La liste est longue. Comme ça, sans ordre précis : je suis claustrophobe, encore un peu agoraphobe, en sentiment quasi continu d’insécurité, avec un besoin de contrôle important, saisie par des moments de tristesse et de solitude profondes de manière impromptue, phobique, avec l’angoisse de séparation et cette sensation de toujours chercher quelqu’un ou de combler un vide. Physiquement, j’ai eu pendant de nombreuses années de grosses douleurs dans le ventre qui s’estompent énormément depuis cette découverte. Des douleurs fantômes ?
Avez-vous pu recevoir de votre mère des informations qui éclairent votre histoire personnelle ?
Non. Pas encore. Pour la bonne raison, que je ne lui en ai pas encore parlé. Je ne la sens pas prête psychologiquement pour le moment. Et aussi parce que j’ai d’abord besoin de la garder rien que pour moi et d’avancer toute seule dans un premier temps.
Qu’est-ce que la révélation de l’existence d’une sœur jumelle in utero a changé en vous ?
Pour l’instant, j’ai cette impression d’un chamboule-tout géant dans ma tête ! Je ne peux pas encore dire tout ce que cela va changer pour moi à plus long terme car la découverte est trop récente, mais je reste très optimiste et j’espère que cela m’apportera la sérénité et la paix intérieure que je cherche depuis si longtemps !
La seule chose dont je suis certaine, aujourd’hui, c’est que mes questions ont enfin des réponses. Et ça déjà, c’est terriblement satisfaisant car il y a eu de nombreuses fois où je me croyais folle. Pour la suite, il faudra voir avec le temps…
Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Tourmentée, triturée, souvent triste, besoin que les choses avancent plus vite, besoin de remettre chaque chose à sa place, consciente du chemin parcouru et de celui qui reste à parcourir mais confiante. Désireuse d’un avenir plus serein et heureuse d’avoir suivi mon instinct jusqu’au bout et d’avoir eu le courage de ne jamais abandonner ma quête de vérité ! Maintenant, je sais quel chemin suivre.
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UN EMBRYON SUR DIX A EU UN JUMEAU
Le médecin Claude Imbert a été, en France, l’une des premières à aborder le sujet du jumeau perdu. Dans son livre Un seul être vous manque… Auriez-vous eu un jumeau ? (1) publié en 2004, elle rapporte que « De très nombreuses grossesses physiologiques (12 à 15 % minimum prouvées scientifiquement) sont initialement gémellaires puis spontanément interrompues précocement dans les premiers jours ou premières semaines, sans être diagnostiquées ».
Alfred et Belle Austermann, psychothérapeutes en Allemagne, parviennent à la même conclusion dans leur ouvrage Le syndrome du jumeau perdu (2) : « Un embryon sur dix a un jumeau qui disparaît au cours de la grossesse ». Le travail thérapeutique que le couple accompagne depuis vingt ans en constellations familiales systémiques leur a permis de mettre en évidence la perte gémellaire vécue au cours de la vie intra-utérine. Cette observation est corroborée par le Dr Sartenaer, spécialiste en médecine prénatale, dont l’entretien est publié avec des photos d’échographies dans le même ouvrage (3). Bien qu’encore taboue, la perte d’un jumeau est une réalité qui commence à être reconnue. Elle mérite d’être prise en compte quand on considère les conséquences psychologiques dans la vie du jumeau survivant. En effet, « si l’un des jumeaux meurt, le survivant subit un choc énorme dont il n’est pas conscient plus tard. Un grand vide subsiste dans son âme, et cela a un impact sur sa vie entière » (4).
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(1) Un seul être vous manque… Auriez-vous eu un jumeau ? de Claude Imbert, éditions Visualisation holistique, 2004.
(2) Le syndrome du jumeau perdu, seconde édition revue et augmentée, de Alfred et Bettina Austermann, éditions Le Souffle d’Or, 2016.
(3) Le syndrome du jumeau perdu… Op. cit.
(4) Le syndrome du jumeau perdu… Op. cit.
Pour aller plus loin :
Témoignages sur le syndrome du jumeau perdu. Sur la voie de la résilience, de Alfred et Bettina Austermann, éditions Le Souffle d’Or, 2016.
Marie
04 Oct, 2022 à 21h01