Mark, mon bébé à jamais
Le 25 avril 2017, la maman de Mark perd son bébé deux heures après sa naissance suite à un accouchement prématuré dû à une chorioamniotite (1). Brisée par la disparition de leur enfant, la famille s’accroche à la vie, avec dans leur cœur la présence de Mark qui laisse son empreinte vivante à jamais. En août 2017, écrasée par sa souffrance et la colère qui l’étreint, la maman écrit sur son blog Le Jour avant une Lettre au médecin de la maternité, qui aura un grand retentissement. Celle-ci sera lue par plus de 25 000 personnes dans une trentaine de pays, elle suscitera de très nombreux courriers.
Deux ans après le drame, la maman de Mark nous a contactés pour nous proposer de publier sa lettre sur notre plate-forme. « Le processus de deuil qui commence dans la salle de naissance est bien particulier et le comportement de l’équipe médicale y joue une rôle crucial », nous précisait-elle dans son courrier. Touchés par son initiative, nous lui avons proposé de l’interviewer afin qu’elle puisse revenir sur la génèse de sa lettre et témoigner de son vécu unique qui rejoint celui de tant de familles touchées par le même drame, les mêmes maladresses, les mêmes tabous qui entourent « la naissance d’un bébé mort-né, ou d’un bébé vivant mais condamné à mourir ».
Nous remercions infiniment la maman de Mark d’avoir répondu à nos questions, ses réponses apportent de l’espoir pour avancer dans la résilence, même si l’on est, en tant que parent endeuillé, en « apnée éternelle ».
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INTERWIEW DE LA MAMAN DE MARK
Vous êtes-vous sentie assez entourée pour traverser cette épreuve ?
J’ai été fortement soutenue par mon mari, sans qui je n’aurais jamais pu m’en sortir, et qui, malgré son âme brisée, a pris soin de notre aîné de 3 ans, évidemment très affecté par la mort de son petit frère tant attendu, alors que moi, je n’arrivais pas à me lever de mon lit.
Très vite après l’accouchement nous avons contacté une psychologue spécialiste du deuil néonatal, qui m’a permis de prendre certaines dispositions, ce qui m’était impossible de faire seule vu mon état. Elle avait l’expérience de la situation, une expérience certes extérieure, mais elle a su nous aider à agir rapidement, par exemple vis-à-vis des sentiments des grands-parents. La famille nous a quittés rapidement. Eux aussi étaient blessés, ils ne savaient pas trop quoi dire ou comment faire pour ne pas aggraver la situation. De toute façon, ils ne pouvaient pas nous aider. Personne ne le pouvait. On s’est enfermé tous les trois, on a pleuré ensemble, et on a vécu de longs mois de désespoir, de tristesse, de colère, d’incompréhension, de ressentiments.
Au bout d’un moment, je suis tombée sur le forum « Nos petits anges », qui m’a aidée à sortir lentement du fond du gouffre grâce au soutien de mères ayant traversé le même drame, sous des formes différentes. Cela a effacé ce sentiment insupportable de solitude, je ne me sentais plus isolée par le bonheur des autres.
Comment l’idée de cette lettre a-t-elle germé et comment a-t-elle été réalisée ?
L’idée était complètement spontanée. Sur le moment, je discutais avec plusieurs médecins pour essayer de comprendre ce qui s’était passé, pourquoi j’avais accouché prématurément, et pourquoi cela n’avait pas été décelé auparavant puisque c’était mon deuxième accouchement prématuré. Je continuais d’être révoltée par l’utilisation de l’expression de « fausse couche tardive », qui non seulement à un certain terme n’a pas lieu d’être, mais, en plus d’être inadéquate, cherche à dissimuler le véritable événement. Car à 23SA on fait un « vrai » accouchement – dans une salle de naissance avec une équipe de sages-femmes en blouses roses, branchée à la péridurale, en poussant pendant des heures. Rien de « faux », rien de « tardif » là-dedans.
Je me suis rappelée ce moment, lors de mon accouchement, où une infirmière est entrée en demandant « Qu’est-ce qui s’est passé ici ? », et où on lui a répondu : « Juste une fausse couche tardive ». J’ai écrit cette lettre avec ces mots qui résonnaient dans ma tête. Au départ, je cherchais à exprimer mon chagrin et ma tristesse, mais au final j’ai été prise par un violent coup de colère. Pas contre le corps médical, mais contre l’aveugle injustice de la vie, tout court.
Pourquoi avoir rendu votre lettre publique ?
Parce que je savais que je n’étais pas seule. Je lisais les témoignages des mamans, et je savais que je n’étais pas la seule à avoir été laissée dans une chambre de maternité à entendre la joie des mamans cajolant leur nouveau-né alors que notre bébé était à la morgue, dans le silence et le froid. Cette image m’a hantée longtemps. Je n’étais pas la seule à avoir entendu les remarques désobligeantes d’un interne, pendant l’échographie, qui a annoncé le drame. J’étais loin d’être la seule à avoir reçu un discours qui cherchait à me dire que finalement, c’était pas si grave, que j’allais « retenter ». Et surtout, je savais pertinemment que les mamans de Mark à venir allaient vivre la même chose, ce qui ne peut qu’augmenter leur traumatisme. Ce dont on a besoin ce n’est pas d’argent, ni de technologie, mais juste d’un regard humain et d’un comportement décent.
Le grand tabou qui entoure aujourd’hui la mort néonatale rend la souffrance encore plus insupportable. Je voulais partager mon expérience tout en sachant qu’elle n’était pas unique. Je voulais dire merci à ceux qui m’ont aidée à l’hôpital. La sage-femme qui a baptisé mon bébé. Le gynécologue – pas celui qui m’a suivie – qui est resté longtemps avec moi pour m’expliquer ce qu’est la chorioamniotite. L’anesthésiste qui m’a endormie pendant quelques instants au moment-clé. L’employé de la morgue qui a été le meilleur thérapeute pour mon mari et qui, au final, nous a aidés pendant ces quelques jours, en nous indiquant que notre perte était bien réelle. Car à l’état de choc, on tombe rapidement dans le déni, et on se laisse facilement emporter par l’idée que « l’hôpital se chargera de tout ». Il nous a guidés, il nous a dit qu’il fallait qu’on se charge des obsèques, en tant que parents, de la manière souhaitable pour notre famille. En particulier en prenant en compte le grand frère – présent pendant la grossesse, mais absent de l’hôpital – pour qui un lieu de recueillement était nécessaire.
Quelle audience a-t-elle rencontrée ?
J’ai été étonnée de la voir partagée par des milliers de personnes. En l’espace de quelques jours, ma boîte mail a commencé à se remplir. Au départ je ne me suis pas rendue compte que, finalement, elle était lue surtout par des proches de parents qui ont perdu des bébés en fin de la grossesse ou tout de suite après. J’ai reçu des courriels de personnes qui m’ont parlé de leur vécu, qui me remerciaient de parler du déroulement de l’accouchement qui, a priori, est au cœur du tabou. On parle de ce qui se passe avant et on sait ce qui se passe ensuite, mais la naissance d’un bébé mort-né, ou d’un bébé vivant mais condamné à mourir, comme mon fils Mark, reste complètement occultée.
Les institutions et le personnel médical ont-ils pris en compte votre message ?
J’ai eu des retours, oui. Certains faisaient part de la réalité difficile du travail à l’hôpital, ce qui est absolument vrai. De longues heures, la surcharge de travail, de grandes responsabilités, le stress, l’épuisement. C’est tout à fait compréhensible. D’autres disaient « chaque cas est différent », « les parents souhaitent des choses différentes ». On m’a reproché la maladresse, le côté « mode d’emploi » de la lettre, alors que la situation est complexe. Certes, c’est peut-être vrai, mais je pense que tous – les parents et leurs proches – souhaitent un traitement humain, des conseils, ou, tout au moins, que l’on ne tente pas de minimiser le traumatisme qu’ils viennent de vivre et ce qu’ils ont ressenti. Il y a aussi ceux qui écrivent « Ok, merci d’avoir dit ça, nous allons en discuter avec l’équipe, nous allons revoir le protocole ». Ce qui est exprimé à plusieurs reprises dans les témoignages est le fait que la patiente était trop souvent délaissée.
Où en-êtes-vous aujourd’hui, comment allez-vous ?
Ma vie a changé de cours, ma famille a évolué. J’ai gagné la bataille contre ma maladie en optant pour un cerclage définitif TAC (2) et aujourd’hui j’ai trois enfants, bien que l’un d’eux vive seulement dans mon cœur. Le deuil persiste, dans le sens où il fait partie intégrante de moi, bien que je ne crois pas qu’il soit visible de l’extérieur. Quelque fois je pense que les gens qui nous regardent de l’extérieur voient une joyeuse famille qui aime bien passer du temps ensemble. Rares sont ceux qui savent.
Il est possible que j’aie déjà guéri, que mes émotions se soient ordonnées, même si la tristesse ou la colère me prennent de temps en temps au dépourvu. Il y a aussi des jours où j’ai l’impression que j’avance seulement avec mes prothèses de la marche. J’ai toujours du mal à voir les bébés d’août 2017, le mois où Mark devait naître, je me protège, j’évite. Je ne vais pas souvent au cimetière, mais j’assume mon devoir maternel de prendre soin de sa tombe. Cela me permet d’honorer sa mémoire et j’aimerais penser que peut-être un jour, en voyant toutes ces fleurs, il saura que je l’aime et que je n’oublierai jamais ces brefs instants quand je l’ai gardé dans mes bras… Même si au fond je n’y crois pas. Ou peut-être, je n’y crois plus.
Il est possible de revivre après la mort de son bébé, il est même envisageable d’être heureux par moments, mais c’est une vie différente, le monde ne sera jamais aussi lumineux qu’avant car on connaît son secret le plus sombre… Néanmoins il faut le faire, il faut piocher dans sa propre capacité de résilience et relever la tête, car on le doit à ce tout-petit, on le doit à lui, pour que son passage dans ce monde ne rime pas seulement avec douleur.
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POUR ALLER PLUS LOIN :
- Le jour avant (blog de la maman de Mark)
- Groupe facebook Cerclage définitif TAC
- Cerclage du col utérin : quelle technique, à quel terme, pour quelles patientes ? (Collège national des gynécologues et obstétriciens français, déc. 2009)
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NOTES
(1) La chorioamniotite est une infection du placenta et du liquide amniotique pouvant survenir pendant la grossesse suite à la rupture prématurée de la poche des eaux (infection ascendante). Elle se traduit par le passage de bactéries qui infectent le liquide amniotique et le fœtus. La chorioamniotite est une urgence vitale, tant pour la mère que pour l’enfant. Elle peut être responsable d’accouchements prématurés, de leucomalacie périventriculaire et de décès périnatal.
(2) La technique de cerclage du col utérin par voie abdominale (TAC) a été décrite en premier par Benson en 1965. Elle consiste à resserrer le col de l’utérus à l’aide d’une bandelette sur la partie haute située au niveau de l’orifice interne. Ce cerclage définitif haut est indiqué en cas d’impossibilité ou de non-indication de cerclage cervico-vaginal. Le cerclage est la seule manière de remédier à une béance cervico-isthmique (relâchement important du col du l’utérus), il est indiqué pour les femmes ayant des antécédents de fausses couches spontanées tardives à répétition ou d’accouchements prématurés. Avec un cerclage définitif, les patientes accouchent par césarienne. Le TAC est communément pratiqué dans les pays anglophones, avec un taux de réussite de 95 % à 99 % de naissances après 37SA (source : « Transabdominal Cervical Cerclage » – UChicagoMedicine – Centre médical de l’Université de Chicago).
Véronique
10 Avr, 2021 à 09h40